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Lire pour grandir - Page 6

  • Chronique sur le livre de Berhard Schlink : le liseur

    On entre dans ce roman comme dans un salle de cinéma : confortablement installé sur un fauteuil, le film commence, et on s’y plonge en oubliant tout ce qu’il y a autour de nous. En ressortant de la salle, on n’a qu’une chose à dire : « émouvant »

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    On croirait lire un scénario, tant les péripéties sont nombreuses : Michaël a quinze ans lorsqu’il rencontre par hasard Mme Schmitz. Alors qu’il tombe malade en plein milieu de la rue, elle lui porte secours. C’est en voulant la remercier que cette femme devient pour lui Hanna. Elle acquière rapidement le statut d’amante, et entre eux se nouent une relation ambiguë : il devient son lecteur, c’est-à-dire qu’il lui fait la lecture à voix haute. Et très vite, leurs rendez-vous prennent cette double connotation intellectuelle et sexuelle.

    Mais un jour, Hanna disparaît sans laisser de trace, et Michaël doit refaire sa vie. Il ne la verra que plusieurs années plus tard, lors d’un procès où elle est condamnée en tant que surveillante dans les camps de concentration. Le jeune homme a beau ne plus rien ressentir pour elle, n’avoir plus que des images figées, il comprend le secret qu’elle a tenté toute sa vie durant de cacher, un secret qui pourrait lui coûter la vie même. Et c’est ainsi qu’il décide de renouer contact avec elle, quoiqu’il puisse se passer. On vit ce roman comme une succession d’images, d’odeurs, de souvenirs auxquelles nous initient le narrateur. C’est aussi une réflexion sur les camps de concentration : doit-on absolument en parler ? Comment le faire ? Doit-on condamner également toute la génération d’après-guerre pour leurs silences, leurs oublis ?

    Une magnifique histoire. A lire absolument.


    Bernhard Schlink
    le liseur gallimard, folio poche, n°3158, 243pages

  • Histoire de l'art : La Grande Guerre et l'instauration de la modernité culturelle en Occident de Vincent Fauque

    L'hypothèse à la base de cet essai à la fois d'histoire et livre d'art se formule dans les termes suivants : la guerre de 1914-18 apparaît comme la première manifestation de guerre totale qui provoque dans les sociétés engagées dans ce combat une dissolution des valeurs morales et esthétiques associées à la modernité.

    la dissolution d'un monde.JPGLa Première Guerre se distingue des conflits qui l'ont précédée par les caractéristiques suivantes : dans ces états devenus démocratiques, la participation à la guerre s'étend à tous les citoyens, ce qui entraîne la mobilisation d'une armée colossale; les nouvelles technologies mises au service des troupes décuplent leur pouvoir destructeur; cette puissance phénoménale de l'armée provoque un déplacement dans l'ordre des pouvoirs, le politique se subordonnant au militaire. Cette guerre, commencée dans l'euphorie parce qu'on la prévoyait de courte durée, entraîne une dévastation générale du territoire européen mais aussi des valeurs morales et esthétiques qui jusqu'alors définissaient la modernité.

    La modernité est un concept sujet à de multiples controverses. Difficile à situer, difficile à définir. Ses fondements remontent au 18e siècle alors que s'effectuent les transferts suivants : du religieux au laïc, la société produit ses propres normes sans se référer à une autorité extérieure, transcendante; du respect de la tradition à l'esprit critique, l'individu revendique le droit de penser par lui-même. Le 19e siècle poursuit dans la voie de la rationalité en étant dominé par le réalisme (l'art a pour but de copier le réel) et le positivisme (la généralisation de la méthode expérimentale à tous les domaines de recherche).

    Aux yeux de l'auteur, la Grande Guerre opère une césure dans cette évolution de la pensée. Elle est le "fait déterminant à l'origine de l'instauration de la désintégration culturelle moderne (ah! l'insoutenable légèreté du style universitaire, une perle dans le genre) dans les sociétés belligérantes du front occidental" (page 7). Après la mort de Dieu, on peut entrevoir "la possible mort de la raison engendrant la mort possible de l'homme" (page 165) Rien de moins. Dada s'en charge, recevant ainsi le titre de "grand initiateur de la rupture morale et esthétique" de l'après-guerre.

    Les avant-gardes artistiques qui se succèdent en Europe ajoutent au grand massacre civilisationnel en donnant dans le relativisme moral et dans le narcissisme forcené. Les artistes contemporains privilégient la discordance plutôt que l'expression de l'harmonie. Ainsi, toutes les avant-gardes du début du siècle participent à une grande insurrection dont les deux cibles sont la raison et le principe de réalité, les bases mêmes de la modernité.

     

  • Dubravka Ugresic Ceci n'est pas un livre

    Enfin un livre qui n'en n'est pas un ! Enfin un bouquin qui se met lui-même en abîme ! Une couverture parlante nous invite à découvrir par nous-même le contenu du récit : ces livres blancs, sans saveur, agglutinés les uns les autres sur les étagères, n'ont rien à voir avec celui de l'auteur : ce dernier tente de percer le secret de l'édition, identifie avec authenticité les procédés actuels utilisés par le marché pour vendre, et en cela, se détache de cet ensemble indistinct. Jubilatoire !

    ceci nest pas un livre.JPGDubravka Ugresic est une dissidente qui a de quoi écrire ! Elevée derrière le Rideau de Fer, elle a vécu le socialisme, le communisme, la chute du Mur, le démantèlement de son pays, la Yougoslavie...Et elle vit actuellement l'exil, décision qu'elle a prise en 1993 lorsque la Croatie lui a fait comprendre qu'elle "nuisait aux intérêts". Aussi ne faut-il pas la caractériser par son pays, étiquette qu'elle refuse et à laquelle elle préfèrerait celle "d'écrivain transnational". Toutes ces conditions d'existence, associé à de nombreux voyages aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et en Allemagne où elle enseigne la littérature russe, lui ont permis d'observer pendant de longues années le marché du livre dans toute sa signification.

    Et ce qu'elle nous livre dans ce recueil, ce sont tant des essais que des nouvelles, avec toujours un humour, une ironie, parfois un cynisme caractérisant comme un fil conducteur son écriture. Tout le monde a le droit à sa critique : des éditeurs qui ne choisissent un roman qu'à partir du synopsis, des agents qui ne sont jamais à disposition, des directeurs littéraires plutôt formés au marketing qu'à la littérature...en passant par les auteurs eux-mêmes, tentés par le glamour et l'engagement qui passe pour une action intellectuelle, alors qu'il n'est qu'une action médiatique.

    Et Mme Ugresic tient son lecteur en haleine, séduit par ce récit authentique, un recueil de sanguines que tout le monde pense, mais que personne n'osait encore dire..."brève contribution à l'histoire de ma littérature nationale" est ainsi une nouvelle ironique, subtile, où l'auteure n'hésite pas à critiquer son pays d'origine ; tandis que dans "l'écrivain en exil" elle se lance dans un essai argumenté sur les conditions et conséquences d'un tel choix -qu'elle a d'ailleurs fait.

    On rit beaucoup à la lecture de ses essais, on réfléchit également. Dubravka Ugresic a conscience que l'avenir du livre est plus qu'incertain, et cerné par l'uniformisation du marché qu'elle aborde dans "questions à une réponse". Quoiqu'il en soit, le sien est parvenu jusqu'à nous, il n'y a rien à regretter !


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    Références : Dubravka Ugresic ceci n'est pas un livre essais, Fayard, 300p, 18€, août 2005

  • Avis sur : Dans la luge d’Arthur Shopenhauer , de Yasmina Reza

    luge de.JPG« Le maître de mon mari a étranglé sa femme, lui se contente de laisser sa main choir au bout de l’accoudoir, de façon lamentable et flétrie. Mon mari n’a pas de radicalité. C’est un disciple.

    La génération de mon mari a été écrasée par les maîtres ». Voilà la phrase qui pourrait au mieux résumer cette courte œuvre de Yasmina Reza, cette dramaturge qui connaît un succès confirmé dans le monde entier, auteur notamment de « Art », pièce absurde. Ariel Chipman était professeur de philosophie, disciple de Spinoza. Puis, la vieillesse venue, le désespoir le gagne, et vite, il remet en cause sa vie intellectuelle.

    Devant le caractère morose de l’existence, devrions-nous pas être dans la « luge d’Arthur Shopenhauer ? ».

    Sa femme, Nadine, névrosée, s’attache à des détails qui lui permettent de ne pas plonger dans la folie, avec son mari. Autour de ce couple, un ami, Serge Othon Weil, se raconte, sa vie, ses critiques, pour donner un semblant de compagnie à ces deux êtres que plus rien ne semble retenir ensemble. Et puis, la psychiatre de conclure : « la frivolité nous sauve ». Yasmina Reza se livre à un exercice de style réussi, celui de lier quatre personnages différents entre eux, avec leur identité propre, leurs obsessions, leurs questions existentialistes.

    Dans la luge d’Arthur Shopenhauer Yasmina Reza Albin Michel 9€ 107pages

  • Livre de Pascal Quignard :Villa Amalia

    Il y a deux Quignard : le premier est un écrivain classique et baroque, un orfèvre de la syntaxe, un peu magicien un peu sorcière, qui sait comme personne envoûter son lecteur dans les spirales de ses phrases, les brumeuses légendes de ses petits traités, l’érotisme contourné de ses récits ou les leçons ténébreuses de sa sagesse moitié romaine moitié chinoise. Et puis il y en a un autre, poseur et salonnard, raseur et prétentieux. Ces derniers temps, le second avait tendance à étouffer l’autre. Alors ce roman, Villa Amalia, tu l’abordes prudemment, presque soupçonneux.

    villa-amelia.JPGLe début te semble compassé, convenu, personnages trop chics, sentiments trop magnifiés, langue trop apprêtée. Encore un livre snob, te dis-tu, du mauvais Quignard. Et puis, soudain, vers la page 130, le vrai, le grand Quignard reprend le dessus. On oublie un peu l’histoire assez ennuyeuse de cette femme solitaire qui compose une musique rare dans une maison de rêve au sud de l’Italie, on tend l’oreille, on se laisse ensorceler par son phrasé, ses accélérations, les coudes des verbes, les coupures, les raccourcis, les étrangetés abruptes ou doucement vénéneuses :

    Dans l’angle de la porte, à gauche du café, juste avant le marchand de journaux, un civil au visage glabre, maigre, ridé, s’appuyait contre le mur. Il fumait. Il approchait de la vieillesse. Il était chauve, de rares cheveux blonds autour des oreilles, des lunettes rondes cerclées de fer, des grands yeux pâles. Il n’avait plus qu’un filet de voix – quand il parlait. Mais il parlait si peu que tous l’avaient oublié dans son coin. Il soutirait la fumée de sa cigarette par petites saccades, inspirant longuement, fermant à demi les yeux. Il allait mourir. C’était moi. (193)

    Et alors, jusqu’à la fin, le roman n’est plus qu’un prétexte à aphorismes, portraits, petits contes bizarres, merveilleusement ciselés dans cette matière précieuse, brillante, sauvage et raffinée...

     

  • Avis sur La Vie sur Mars de Laurent Graff

    Editeur : Le Rocher
    Publication :18/10/2007

     

    vie-sur-mars.JPGLes hommes viennent de Mars, Laurent Graff de bien plus loin encore. D’une autre galaxie sans doute. D’une autre dimension peut-être. Pour preuve, son recueil de nouvelles ‘La Vie sur Mars’. Douze vies étranges et pourtant familières. Douze petits bouts d’existence pour en extraire la substantifique moelle : du sexe, de l’argent, de l’espoir d’aimer et d’être aimé. Et une question demeure intacte : qu’est-ce qui fait écrire Laurent Graff ? La vie d’Alain Gentil qui joue l’épreuve de force avec… un bol de piments. Ce couple de banlieue qui revêt sa panoplie de cow-boy pour aller au supermarché.

    Les histoires de Graff se suivent et ne se ressemblent pas, plus simples et déjantées les unes que les autres. Certaines même échappent au commun des mortels. Qu’allait donc faire David Vincent avec les Bee Gees ?

    Pas de doute, Laurent Graff a quelque chose d’extraterrestre.