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  • lecture sur Mal de pierres, de Milena Agus

    Elle raconte l’histoire singulière, forte et émouvante de sa grand-mère qui, alors qu’elle avait déjà trente ans, n’avait pas encore de mari, ce qui dans la Sardaigne paysanne et très conservatrice des années 1940, était considéré comme une malédiction. Elle n’était jamais allée non plus sur le Continent, mais ceci, par contre était moins rare.
    Pourtant elle était belle, cette jeune femme, et désirable. Mais sa propre mère, une paysanne de Cagliari, pensait que si « les prétendants de grand-mère se défilaient, c’était parce qu’elle leur écrivait des poèmes enflammés. » et « Elle maudissait le jour où ils l’avaient envoyée à l’école apprendre à écrire. »

     

    Elle finit cependant par se marier, en juin 1943, avec un homme de quarante ans, arrivé au village pour travailler aux salines. Elle ne l’aimait pas, il la respectait et ne la forçait en rien et ils passèrent leurs premières années de mariage en bonne intelligence, survivant à la guerre, aux privations, à la faim. La jeune femme souffrait de terribles coliques néphrétiques, ce mal de pierres, si fortes que l’on pensait qu’elle allait en mourir. En 1950, elle partit suivre une cure thermale sur le Continent et c’est là qu’elle rencontra le Rescapé, un très bel homme malgré sa jambe de bois. Cet homme charismatique devint l’amour de sa vie, auquel elle penserait le restant de son existence, même lorsqu’elle rentra au pays, qu’elle reprit sa place près de son mari, qu’elle tomba enceinte.

    A sa petite-fille, bien des années plus tard, elle raconta son secret, elle dit les sentiments qui l’attachèrent si fort à l’homme qu’elle connut si peu de temps, elle montra les émotions contenues et tues, jusqu’à ce que la narratrice comprenne la vérité, inscrite dans un vieux cahier noir à tranche rouge.
    Milena Agus, dont Le Mal de pierres, paru en Italie en 2006, est le premier roman traduit en français, fait preuve d’une finesse et d’une sensibilité magnifiques pour peindre ce portrait de femme

    . Par petites touches, par petits tableaux successifs aussi ciselés que des miniatures, elle nous fait avancer dans le récit et accompagner la grand-mère de la jeune narratrice, dont on suit très précisément l’évolution, les émotions, les décisions parfois étonnantes qui sont en même temps celles d’une femme libre dans sa tête et dans son corps, dans une société italienne où la femme ne l’était guère. Le langage est libre aussi, les situations racontées parfois crues et parfois terriblement pudiques et tout en implicites. De plus, les personnages secondaires, qui gravitent autour de l’héroïne, sont aussi très soignés et prennent vie avec beaucoup de détails. C’est beau, c’est intense, c’est troublant et l’on garde longtemps en soi la femme du roman et la force des mots.
    Milena Agus dit de sa famille qu’ils sont « sardes depuis le paléolithique ». Elle vit et travaille en Sardaigne et avait déjà été remarquée par la presse italienne pour son premier roman.